… Malacordia – 2ème Partie – Episode 3 …

« Qu’est-ce qu’elle fout encore cette feignasse ? Fait bientôt nuit et l’a pas encore rentré les bêtes ! Va m’entendre c’te fois-ci ! » grogna l’homme.

Il remit ses sabots boueux et s’en alla, bâton à la main, vers la place du village.

« Malacordia ! T’as intérêt à reintrer sinon euh t’ passeras ch’nuit à ch’l’étab’ avec ché quèvres ! » cria t-il en arrivant sur la place, sûr de son effet. Mais la place était vide.

« Elle joue toujours là avec les autres gamins d’habitude… » se dit-il dans un premier temps, décontenancé de ne pas avoir eu de public pour son arrivée.

« D’où qu’elle s’est encore fourrée c’te peste ? » pensa t il tout haut. « M’en va aller d’mander à ché voisins. »

Après un rapide tour d’inspection, les autres gamins étaient tous rentrés mais personne n’avait vu la jeune enfant depuis le début de l’après-midi.

Passablement inquiet, le père couru chez le bourgmestre.

« M’fille y a disparu ! Faut la retrouver avec que ch’nuit tombe ! ».

Et une heure après, une cohorte d’une vingtaine de villageois s’en allait affronter la nuit, armés de torches et de bâtons, se ralliant à un nouveau cri de guerre : « Malacordia ».

 

Sur son arbre, Malacordia restait fermement cramponnée au tronc. La grande entaille sur sa poitrine lui faisait mal, mais elle avait arrêté de pleurer après avoir entendu les hululements annonciateurs de la nuit. Autant éviter de se faire remarquer par les bêtes nocturnes. Et au moins, en hauteur, elle était un peu protégée. Peu à peu elle se calmait, se préparant à passer la nuit accrochée au tronc, et se mit à réfléchir sur son sort.

« Tout ça c’est de la faute de ces dessins ! » finit-elle par conclure.

Dans un esprit de vengeance, elle se mit donc à arracher l’écorce de l’arbre se trouvant à sa portée.

« L’arbre a bien fait pareil avec moi ! » se justifia-t-elle envers elle-même. Elle arracha toute l’écorce qu’elle pu, dévoilant le bois vivant sur lequel coulait la sève.

« Maintenant on saigne tous les deux, on est quitte. » dit-elle à son compagnon d’escalade.

La sève coulait le long du tronc. Mais elle ne ressemblait pas au liquide nourricier des autres arbres. Elle était plus verte, plus gluante, plus odorante et surtout beaucoup plus abondante que prévu. Et elle dévalait le long du tronc comme la pluie, jusqu’à rejoindre le sol.

« Beurk, en plus ça colle et ça pue. » rouspétait Malacordia en s’essuyant les mains sur les restes de ces vêtements. Et étant obligée de rester agrippée au tronc pour ne pas tomber, elle fut bientôt souillée de cette substance qui se mêlait au sang qui s’échappait  encore de ces blessures.

Ce n’est qu’après quelques minutes que le flot se fit moins abondant et que Malacordia s’apaisa, avec le sentiment d’avoir assouvi sa vengeance. Elle finit même par s’assoupir, épuisée par toutes ces émotions.

 

« Craaaaaaaaaaaaac ».

Réveil en sursaut. Panique à bord. Bruit de branche qui casse. La chute. S’accrocher. Vite. Par réflexe, elle serra encore plus le tronc auquel elle était presque collée par le liquide suintant des écorchures de l’arbre. Elle mis quelques secondes à se rendre compte que rien ne bougeait autour d’elle et que le bruit qu’elle avait entendu n’était autre que le grondement de tonnerre accompagnant un éclair qui déchirait le ciel.

Soulagement. Elle n’était pas tombée. Par contre, l’orage n’était pas une bonne chose, surtout quand on est perchée dans un arbre. Elle se décolla un peu du tronc et entreprit de regarder sa blessure à la poitrine. La plaie avait l’air assez saine et faisant déjà moins mal. Elle était contente de cela car elle se rappelait encore l’année dernière de la mauvaise cicatrice de l’oncle Archibald, à qui on avait du couper la jambe. Ce qui ne l’avait pas empêché de mourir peu après. Mais bien vite, un second coup de tonnerre la ramena sur terre, ou plus exactement à une dizaine de mètre de hauteur de celle-ci.

 

C’est aussi à ce moment là que Malacordia vit une lumière assez forte s’approchant de la maison de « l’Ancêtre » par le sentier. Et la lumière semblait l’appeler au loin.

 « Des torches !!! C’est des torches !!! Ils sont venus me chercher. ». La petite était aux anges. Les secours arrivaient au bon moment, juste avant que l’orage ne déverse sa colère sur elle.

« J’suis là ! Venez me chercher ! Papa ! J’suis coincée ! ».

Elle hurla aussi fort que sa poitrine endolorie le lui permis. Et cela semblait fonctionner. Après un bref arrêt, la forêt de torches se précipita jusqu’à arriver devant la barrière du Jardin.

« Papa ! J’suis dans l’arbre. Viens me chercher ! »

Mais la troupe de villageois ne bougeait plus. Personne n’avait pénétré dans la dernière  demeure de « l’Ancêtre » depuis des générations. C’était comme un sacrilège. Toutes les croyances, les folklores, les contes et légendes remontaient de l’inconscient collectif pour frapper de plein fouet l’esprit des villageois.

« Elle est perdue. On pourra jamais aller la chercher. »

« Elle est dans le Jardin… et elle est encore vivante. Elle va se transformer en sorcière… il faut tout brûler ! »

« Moi j’rentre pas là dedans. Désolé mon gars. »

Telles furent les principales réactions du groupe de villageois.

« Bande eud’ poules mouillées ! Ché m’fille ! Alors j’m’en va aller la quérir ! Et cheux qui ont quéqu’ chose ent’ les guiboles qu’ils m’suivent ! » cria le père de Malacordia.

« Et vous, chi vous voulez v’nir bosser d’main à ch’ferme, z’avo plutôt intérêt à m’chuivre ! » lança-t-il furieux à cinq de ses ouvriers présents dans le groupe.

« Papa ! J’ai peur ! »

Devant les cris de la petite et les injonctions de leur patron, 7 hommes finirent par se décider à rentrer. Et l’orage qui grondait de plus en plus au dessus d’eux ne faisait que rajouter un coté lugubre à la scène. Le groupe poussa alors le portillon et entra dans le Jardin, en priant que celui-ci, occupé à se protéger de l’orage, ne les remarque pas.

 

Le vent commença à se lever et de fines gouttes de pluie décidèrent de faire l’expérience de la gravité.

« Papa y’est là ! On va v’nir eut’ chercher ! Bouge te pas ! » cria le père en avançant doucement dans le Jardin. Les hommes étaient aux aguets, s’attendant à voir surgir des bêtes ou pire encore. Chaque mouvement de la nature, même du au vent, était suspect. Et la sensation d’être observé par chaque végétal et par des choses invisibles. Certains entendaient même l’herbe crier sous leur pas.

Ils mirent plusieurs interminables minutes à faire les quelques mètres qui les séparaient de l’endroit où Malacordia se trouvait. Ils savaient qu’ils devaient se dépêcher, pour sauver la petite, pour éviter au maximum l’orage, pour rentrer chez eux le plus rapidement possible, et surtout pour sortir de ce lieu qui nourrissait tant de terreur auprès des étrangers qui avait voulu y faire halte.

« Papa ! J’suis en haut ! »

Ils arrivèrent au pied de l’Arbre et durent s’arrêter un instant pour encaisser le choc. Ils découvrirent un hêtre majestueux, bien plus grand et plus solide que ceux de la région. Mais surtout, à son pied, il y avait une tombe. La tombe de « l’Ancien ». Et on pouvait voir une des racines de cet hêtre plonger directement dans la terre qui servait de sépulture à « l’Ancien ».

Ils oublièrent un court instant où ils se trouvaient et pourquoi ils s’y trouvaient. La vision de cette racine plongeant dans la terre au milieu de la tombe les glaça. La nature n’avait décidément rien de naturel en ce lieu. Un claquement dans le ciel les fit revenir à eux. L’orage commençait à être particulièrement violent et la pluie commençait à envahir la terre après avoir envoyé quelques gouttes en éclaireur.

« Malacordia ! Ch’suis en dechous. Saute ‘em fille. Ch’te rattrap’. ». La récupérer au plus vite et partir pensait le père. Partir au plus vite et quitter ce lieu maudit.

Contre toute attente, Malacordia se lança dans le vide, entièrement confiante en son père. La pluie mélangée à la sève avait aussi rendue sa prise plus glissante. Elle dévala les quelques mètres la séparant du sol en criant. Aucune branche ne freina sa chute.

Médusé par ce saut dans le vide, la plupart des hommes ne réagirent pas. Seuls Erwin et Faund eurent la présence de lâcher leur torche pour récupérer la petite qui tombait. Et heureusement, car ils ne furent pas trop de trois pour amortir la chute de la fillette, qui heurta tout de même le sol, un peu trop violemment de l’avis de sa jambe.

« Aieeeeeeeeee. Ma jambe, j’ai mal. » cria Malacordia.

Elle s’était jetée dans le vide. De plus de  dix mètres de haut. Les hommes n’arrivaient pas à en croire leurs yeux. Ils allaient pouvoir sortir ensemble du Jardin, avec la fillette. Comme des héros. Et des héros vivants.

Mais tout ne se passait pas aussi bien qu’ils le pensaient. La torche lâchée par Erwin avait atterrie au pied de l’Arbre. Et malgré la pluie qui s’abattait sur eux, l’herbe s’embrasa. Le feu prit dans les herbes au pied de l’Arbre, avant de grimper à la verticale le long du tronc, comme un chat, jusqu’à l’endroit où était Malacordia. L’Arbre se transformait doucement en torche géante de plusieurs dizaines de mètres. Une torche dont le feu crépitant émettait par instant des reflets verts.

« Dehors ! Chortez touch’ d’ichi ! » cria le père.

Et tous coururent aussi vite que possible vers le portillon, sans oser se retourner. Les autres hommes les virent revenir, alors que derrière ceux qui avaient oser blasphémer envers le Jardin, l’Arbre brûlait et illumait la nuit d’une clarté étrange.

« J’avais dit qu’il fallait brûler cet endroit. » dit un des hommes derrière le portillon.

Il ne se doutait certainement pas de la suite des événements…

 

 

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